Glen Dissaux – Complexe sportif du Froutven

Lors du Conseil Municipal du 10 décembre 2024, Glen Dissaux a exposé l’avis du groupe des élu-e-s écologistes au sujet de la construction d’un complexe sportif au Froutven. Il était demandé aux élu-e-s de déclarer l’intérêt général de ce projet.

Intervention complète de Glen Dissaux

« Monsieur le Maire, cher-e-s collègues,

Enfin, on a un premier débat en conseil municipal sur ce projet de stade. C’est bien, il était temps. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Simplement d’émettre un avis sur la demande de déclaration d’intérêt général du projet de l’Arkea Parc.« 

De la notion de l’intérêt général

Pour Rousseau dans le contrat social, l’intérêt général c’est l’expression de la volonté générale qui exige le dépassement des intérêts particuliers, conférant à l’état la mission de poursuivre des fins qui s’imposent à l’ensemble des individus. Max Weber explique lui que l’intérêt général c’est même la pierre angulaire de l’action publique.

Poursuivre des fins d’intérêt général, c’est en fait entreprendre des actions qui présentent une valeur ou une utilité pour toutes et tous, et de les faire prévaloir sur certains intérêts particuliers. Par exemple, préserver l’environnement, c’est l’intérêt général. On a cette idée que ça profite à tout le monde, que ça exprime la volonté de tout le monde, et ça à moins d’un référendum sur la question, c’est pas simple de juger là-dessus. Ce serait une bonne idée un référendum tiens d’ailleurs.[…]

En fait, la jurisprudence a consacré de façon automatique que les stades c’est d’intérêt général, point. Donc notre avis sur la question, en fait, est assez limité, c’est automatique. Mais notez que ça marchait aussi pour les rénovations, tiens.

On ne va pas prendre l’ensemble du dossier déposé parce que là sinon, on en a pour 2 heures tellement il y a d’inexactitudes, de zones d’ombre, et de choses qui ne vont pas.. Et puis de toute façon je pense qu’on aura le temps de discuter des nombreuses aberrations de ce dossier, parce que il va bien falloir aller dans tous les aspects précis, et financiers en particulier, à un moment donné et donc regarder de près cette copie financière et qui paye quoi.

Un enrobage de « greenwashing »

On sent bien que c’est pas très maîtrisé, mais alors là, ça va être super écolo là, je vous raconte pas. Ça va être vraiment très très bien. Je suis assez curieux d’ailleurs de voir la fameuse liste des associations environnementales et experts qui ont travaillé avec les porteurs de projets comme l’indique le document, et comment la holding compte s’y prendre pour je cite : « à nouveau restaurer la continuité écologique entre le vallon du Costour et le vallon du Stang Alar. » J’ai hâte de voir ça !

La société Holdisports va créer un complexe sportif et de loisirs sur un ensemble immobilier de 33 000 m². C’est pas un stade, c’est un complexe de loisirs privé, que l’on va probablement qualifier d’intérêt général tout à l’heure.

La part du privé dans le financement interrogée

Complexe donc auquel seront associées ultérieurement en tant qu’actionnaires la métropole et les sociétés d’économie mixte locales, ceci en plus des subventions pures et dures à hauteur de 30,2 millions d’euros selon le dossier. C’est 3 millions de plus que ce qu’on avait présenté la dernière fois déjà, et vous observerez en miroir que la part de la société porteuse du privé a diminué passant de 24 à 20,8 millions.

Pour la métropole, c’est déjà 10 millions d’engagés, + 11.5 millions sur les aménagements, on a 6 millions pour le département, 8 millions pour la région, a priori, en attendant celle des communautés de communes qui ont l’air de tiquer un peu plus sur le montage. On verra bien qui contribue à la fin.

Ce n’est que le début de la facture. Faut en être conscient de ça, il y aura encore énormément de dépenses. La métropole, selon le document, garantira en plus la moitié de l’emprunt 39 millions d’euros. J’en ai connu que ça embêtait un peu plus quand ça concernait des logements sociaux avec beaucoup moins de risque pourtant.

Combien mettent les porteurs de projet au départ dans la copie ? Parce qu’on parle d’avance sur loyers, qui seront de toute façon payés donc ça c’est un report, mais leur participation capitalistique à la structure porteuse c’est quoi ?

Un complexe de Holding pour faire des bénéfices

On a dit c’est pas un stade c’est un complexe d’une holding pour faire des bénéfices pour gagner de l’argent, bon très bien, mais que nous, on va financer largement, parce que pelle-mêle, il y a de la danse, un dojo, multisport, des espaces de convivialité, de réception des loisirs indoor, de la restauration diversifiée une boutique du Stade Brestois, le musée du club, une crèche, un espace entreprise, un auditorium, un centre d’affaires, et aussi un escape game, une brasserie, un restaurant haut de gamme. Ça c’est du privé, alors cherchez l’intérêt général là-dedans.

Un stade avec moins de places pour les populaires

A priori, il y a quand même un terrain de foot au milieu pour le côté sportif, 15 000 places comme maintenant. L’idée quand même globale je vous rappelle c’est augmenter le réceptif, les loges, les VIP. Le calcul est assez simple ça en fait moins pour les abonnés classiques et pour les populaires. Pour moi, c’est pas trop l’intérêt général non plus ça.

L’impact socio-économique questionné

Cet équipement participera au rayonnement du territoire en complémentarité avec les autres équipements métropolitains nous dit le document.

Ah bon ? Ça veut dire qu’on a fait une étude d’impact socio-économique alors ? Qu’en est-il des autres acteurs justement ? Quel est le besoin réel sur la métropole et qu’est-ce qui va advenir des acteurs implantés sur le territoire ? quel équilibre pour notre métropole ? c’est ça rechercher l’intérêt général, non ?

Couplé à une offre importante de loisirs, ouvert à toutes et à tous toute l’année, cet équipement sera également un lieu de vie et un lieu de lien social.

Donc là, ce qu’on est en train de faire, c’est que nous on valide cette stratégie de créer un lieu de vie avec une offre importante de loisirs en périphérie au détriment du centre-ville de Brest.

On a quand même un enjeu colossal à redynamiser notre centre urbain, nos commerces de villes notamment, on ne va pas devenir une cité dortoir des périphéries quand même ?

On a une étude commandée par la ville qui nous indique qu’on peut rénover Le Blé. Qu’on peut même en faire un super stade moderne, bouillant, identitaire à la Brestoise, intégré dans un tissu urbain dense favorisant les dynamiques autour, et les mobilités douces. Il faut bien lire l’étude, sans faire tomber d’immeubles, d’école ou de lycée.

Imaginons le même type de montage financier : ça reviendrait à deux fois moins cher pour la collectivité, avec un super stade à Brest à la fin. Mais, on aura l’occasion, je pense d’y revenir plus tard, quand on aura bien montré qui paye quoi là-dedans, et surtout qui récupère l’argent généré.

Le totem d’immunité de la création d’emplois

Avec son côté magique comme ça là, « pouf », on va créer de l’emploi. Non, en vérité c’est un transfert d’emplois, c’est une activité qui existe déjà, et alors c’est un transfert depuis Brest majoritairement vers Guipavas, sauf à croire que les poches de nos concitoyens sont pleines pour faire augmenter leurs dépenses de loisirs, qu’on va comme ça créer de la richesse qu’aucune entreprise ne sera impactée par cette concurrence légèrement déloyale….[…]

Si on avait quantifié, si on avait étudié cet aspect, à la limite, on pourrait le dire, on verrait ça. Mais déjà ce serait pour Guipavas, pas pour Brest, et là on est en conseil municipal de Brest. Je suis désolé, je suis attaché à la métropole il y a pas de problème. Il faut de la coopération. Il en faut même plus que jamais !

Reconnaissez quand même, qu’il y a un côté un peu cocasse à ce que des conseillers municipaux brestois-es se réjouissent et estiment de l’intérêt général de leurs habitants, que le stade déménage ailleurs que dans leur ville, et qu’on vide le centre-ville pour créer une polarité commerciale et un dynamisme entrepreneurial en périphérie, comme s’il y avait pas déjà un sérieux déséquilibre au bénéfice du Nord-Est.

Un impact plus fort sur la circulation

On nous parle d’une accessibilité rudement bien réfléchie, dans une zone d’entrée de ville qui est déjà saturée les weekends. On va reporter la problématique des stationnements les jours de match, avec en moins la possibilité d’aller au stade à pied, parce qu’on est dans une zone moins dense moins centrale. Ça va être un sacré foutoir les jours de match, avec beaucoup plus d’impacts négatifs qu’en centre ville.

Alors les navettes, gratuites j’imagine, depuis le parking de l’aéroport ou autre ça, c’est pas mal, je demande vraiment à voir comment ça va fonctionner. Comme on a supprimé, mais il peut revenir, le projet de passerelle piétonne, ça veut dire qu’on va devoir fermer le boulevard François Mitterand les jours de match, ou les jours de gros événements. Ça veut dire au moins 17 fois dans l’année, pour plusieurs heures.

Peut-être plus, parce qu’il va falloir en fait faire vivre ce stade, quitte à le faire sous perfusion. Moi, j’aime bien les journées sans voiture, c’est pas le problème. Mais pas comme ça, pas ici et puis un peu concerté. Je ne suis pas sûr que les commerçants alentour, les gens qui doivent rentrer sortir de Brest aux heures de match trouvent ça amusant. Je ne suis pas non plus certain que ce soit l’intérêt général.

Un seule note positive au projet

Il y a dans ce projet un aspect réjouissant, un aspect très réjouissant même : la place faite au sport adapté et au handisport. Alors, ça faut le reconnaître franchement, ça fait plaisir de voir une telle attention, il y a de très belles pages dans le document. Bon, c’est peut-être un peu court au regard du projet global pour faire passer la pilule, mais franchement bravo, parce que là on est dans l’intérêt général. Moi je serais très heureux de contribuer avec de l’argent public à cette partie là. Il y a des besoins donc allez on y va ! Franchement : abandonnez votre gros complexe là hors de prix d’un autre âge, on fait que ça, la partie handisport ok ? là on est bon parce que le reste bien entendu, ça n’a rien à voir avec l’intérêt général.

Un moyen pour le privé d’aspirer des fonds publics

On connait l’histoire, c’est les bons vieux PPP de tous les stades. C’est comme ça que le public se retrouve à payer : on collectivise les pertes et on privatise les gains. Et puis sur le sujet, on amadoue tout le monde, en disant que c’est un projet 100 % privé, je vous rappelle ça a été dit, ça a été écrit : « ne vous inquiétez pas on paye tout ». Puis finalement non ça glisse un peu, on durcit le ton, un petit coup de chantage tiens : « si ça se fait pas on s’en va ». Puis on avance sans trop de débat, sans parler de la première consultation avec des contributions très largement négatives.

On ne peut pas raisonnablement se plaindre sur la situation budgétaire de la France, des collectivités en particulier, faire comme si on avait compris les besoins d’investissement de l’urgence climatique de l’urgence sociale et faire des cadeaux de millions d’euros au privé comme ça.

Parce que là c’est le privé qui nous fait les poches, alors que eux, je rappelle quand même, ils vont empocher plus de 40 millions d’euros en bonus et c’est peut-être pas fini, uniquement sur cette saison exceptionnelle. Sur une saison. Ce serait peut-être de nature à rééquilibrer un peu les comptes non ?

Quand je vois l’état de dégradation des services publics d’intérêt général eux, pour tous et toutes et pour les plus précaires en particulier, les besoins d’investissement, les rénovations, les écoles, les gymnases, nos terrains de sport, nos piscines.. Franchement, en face de Le Blé, il y a des jeunes du patronage qui attendent un terrain de foot correct depuis 10 ans.

Une vision politique différente de l’intérêt général

Peut-être que finalement, se prononcer sur le l’intérêt général de ce projet, c’est ça le plus important. Ça veut dire beaucoup, ça a été mentionné, de nos conceptions politiques tout simplement. Voilà on n’est pas d’accord, chacun assume sa vision politique de ce qu’est l’intérêt général.

Pour terminer un petit mot de Jacques Ellul, qui assimile le concept d’intérêt général à « un moyen rhétorique utilisé par la classe bourgeoise pour imposer l’idéal du progrès quoi qu’il en coûte aux individus. L’intérêt général, dit-il, c’est le progrès technique, même s’il n’a rien à voir avec l’intérêt des hommes, même si l’entreprise est extrêmement douteuse, même si on ignore en définitive les résultats de ce que l’on entreprend. Du moment que c’est un progrès technique, c’est l’intérêt général. »

Et à Le Blé, au Roudourou, partout, toujours, Allez Brest !

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