Glen Dissaux – Propos liminaires

Glen Dissaux est intervenu lors du Conseil de Métropole du 2 février 2024 en propos liminaires au sujet de la crise agricole.

Monsieur Le Président, Cher-e-s collègues,

La veille de la journée mondiale de lutte contre le cancer, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux à faire que de mettre en pause le Plan éco-phyto, qui visait à réduire de 50 % les usages de pesticides d’ici à 2030. Les pesticides sont nocifs pour l’environnement, la santé et en premier lieu celle des agriculteurs : vous saviez que les agriculteurs ont + de 50 % de probabilité de tomber malade d’un lymphome ou d’un cancer de la lèvre, 2 cancers liés aux pesticides ? C’est un véritable cadeau empoisonné : ce matin encore des lots de légumes d’un hypermarché bien connu dans le coin ont été rappelés car ils dépassaient les seuils de pesticides autorisés.

Voilà donc la réponse du gouvernement à la grave crise que connaît le monde agricole. Et pourtant, sur la question agricole, le constat et les solutions, on les connaît depuis longtemps.

Le constat est simple : le métier est devenu impossible.

Les revenus des agriculteurs sont en baisse. Les prix d’achat des produits agricoles sont extrêmement bas (-9 % en un an), et pourtant les prix dans les rayons grimpent (+8 % en 1 an) ; a côté de ça, les marges de la grande distribution, et de l’agroalimentaire ont augmenté de 80% en 2 ans (taux de marge passé de 28% à 48%). Et inutile de vous dire que cette augmentation n’est pas allée dans la poche des salariés.

Prenons l’exemple de Lactalis : Sur un litre de lait Lactalis vendu 1,26 €, l’agriculteur ne touche que 0,40 €. Il y a 80 centimes de marge : Les trois frères Lactalis ont une fortune de 43 milliards d’€, soit ce qu’un éleveur bovin gagnerait en 2,5 millions d’années.

Comment voulez-vous que ça se passe bien ? Le problème de base c’est qu’on exploite les hommes et les femmes qui nous nourrissent, qu’on ne respecte pas leur labeur et qu’ils sont tenus dans un système mortifère : 18 % des foyers agricoles sont sous le seuil de pauvreté. En 2021, plus d’un agriculteur sur dix a perçu le RSA ou la prime d’activité. Le taux de non recours aux prestations sociales, c’est plus de 50 %.

Sur Brest Métropole, la crise des vocations est bien visible : on est passé de 391 exploitations à 209 en 20 ans. Ce sont 277 chefs d’exploitation, plus de 2 000 salariés, dont la moitié en maraîchage, le reste en bovin et laitier surtout.

Aujourd’hui, pour trois agriculteurs qui partent à la retraite un seul s’installe. En 20 ans, ce sont 1/3 des exploitations agricoles qui ont disparues en France. L’endettement moyen est de 200 000 € par exploitation. Les contraintes administratives sont de plus en plus lourdes. Un agriculteur se suicide tous les deux jours… Et on pourrait continuer.

S’ajoute à cela la perte de biodiversité et le changement climatique qui ont des conséquences dramatiques, dont ils sont les premières victimes. En 40 ans, 800 millions d’oiseaux ont disparu en Europe (60% des espèces des milieux agricoles). Selon le GIEC, les pertes de récoltes liées aux sécheresses et aux canicules auraient triplé ces 50 dernières années en Europe. Et on nous agite comme coupables les normes environnementales, c’est d’un cynisme sans nom !

Il faut changer de modèle agricole

Il faut changer de modèle, tout le reste, pardon mais c’est de l’enfumage. La crise est réelle et va s’aggraver, on est dans une course en avant qui ne peut pas être une solution pérenne. Ce que réclament les agriculteurs, et on sera tous d’accord, c’est avant tout de pouvoir vivre dignement de leur travail, c’est d’avoir des revenus décents. Ça tombe bien, c’est ce que proposent les écologistes depuis 40 ans : L’écologie est la solution !

Car le problème, c’est que le modèle productiviste coûte cher en investissement, qu’il est largement dépendant des intrants industriels produits phytosanitaires et du pétrole, d’un modèle porté vers l’export, que ce sont les intermédiaires qui margent comme des cochons, et l’agro-industrie, l’agroalimentaire et la grande distribution qui dictent leur loi.

On connaît l’histoire du modèle agricole industrialisé qui s’est développé après la guerre, très bien, ça a son importance, surtout en Bretagne ; mais maintenant il faut changer, et il faut changer avec les agriculteurs, en les aidant :

Les 9 milliards de la PAC alimentent un système agricole voué à l’échec qui détruit l’environnement et les paysans, l’UE accepte des produits d’importation qui ne respectent pas les standards européens dans le cadre d’accords de libre échanges. Arrêtons cette folie : On ne doit pas acheter ce qu’on interdit chez nous, déjà.

Les solutions existent mais demandent du courage politique.


A l’échelle nationale et européenne :

– C’est d’abord améliorer les revenus, et donc réorienter les aides, un nouveau partage de la valeur, valeur qui doit aller aux agriculteurs, pas aux intermédiaires.

– pourquoi ne pas effacer les dettes des agriculteurs, sous conditions sociales et environnementales.

interdire la vente à perte,

Favoriser l’installation sur l’extension, aujourd’hui c’est mission impossible ;

Aider la filière bio, financer massivement la transition agroécologique

Adapter le secteur aux effets du réchauffement climatique (talus boisés, ressources en eau, etc)

Sortir l’agriculture des accords de libre échange qui mettent les paysans du monde en compétition, abandonner la stratégie fondée sur le tout export ;

Appliquer la loi EGALIM pour contrôler les prix et les marges de la grande distribution notamment, et utiliser le levier de la restauration collective ;

Boycotter la viande d’importation produite dans des conditions sanitaires déplorables, ce serait une belle idée.

Voilà qui améliorerait considérablement le sort des paysan-nes.  Alors ce sont des mesures à l’échelle nationale ou européenne – ça tombe bien on a des échéances bientôt pour celles et ceux qui veulent vraiment aider les agriculteurs – mais on a notre part de responsabilité locale.

A l’échelle locale :

– Un enjeu fort sur la protection du foncier : éviter au maximum la consommation d’espace agricole, pérenniser les exploitations, faciliter leurs transmissions ?

– On a un défi économique sur l’emploi : comment rendre les métiers plus attractifs ?

Des sujets à travailler avec la chambre d’agriculture : Je sais que les collègues en charge, Michel GOURTAY et Tifenn QUIGER sont sensibles à cette question, on s’était rendu il y a quelque temps avec Fabrice JACOB dans une exploitation à Guipavas pour en discuter.

– On a évidemment un défi majeur : la reconquête de la qualité de l’eau.

– L’accompagnement des agriculteurs dans des changements de pratiques, moins impactantes pour l’environnement et adaptées aux effets du réchauffement climatique ;

– Enfin, retisser ce lien entre les producteurs et les consommateurs pour arriver à un juste prix payé aux producteurs.

A Brest Métropole, nous avons des politiques de promotion de l’agriculture durable, un plan Alimentaire Métropolitain porté par notre collègue Nathalie CHALINE, tourné vers l’alimentation durable accessible à toutes et tous. Lorsque que l’on sait qu’en 2023, 16 % de la population est concernée par la précarité alimentaire et que le budget alimentaire est la variable d’ajustement du budget d’un ménage, c’est extrêmement important.

On a des leviers dans nos communes aussi, pour le zéro phyto, c’est un engagement de longue date à Brest. Des pistes pour créer des liens directs entre ce que nous produisons et ce que nous mangeons, pour garantir une alimentation de qualité, et développer une restauration collective exemplaire. A Brest, notre cantine scolaire propose déjà près de 80 % de produits bio ou locaux, notre collègue Emilie KUCHEL pourrait en parler. 

Et puis des projets, Cool Food pro par exemple, je pense à la très belle dynamique au self du CHU : avec une réflexion sur les produits, les approvisionnements, les menus, c’est 500 t de CO2 économisés, plus de qualité dans l’assiette, et de sens pour les cuisiniers.

Citons aussi des travaux en lien avec la chambre d’agriculture là aussi, sur les façons de limiter les émanations d’ammoniac dans l’air, bientôt peut être la même chose sur les pesticides ; on doit être acteurs de ces évolutions absolument nécessaires : quand on voit la situation sociale du pays, celle des agriculteurs, quand on voit les effets du réchauffement climatique, on ne peut qu’être pour une agriculture qui prend soin du vivant et de celles et ceux qui la font.

Je vous remercie.

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