Propos liminaires de Marion Maury en Conseil Municipal le 10 octobre 2023 au sujet de la « Braderie du social ».
« Aujourd’hui, mardi 10 octobre, c’est la journée internationale de la lutte contre le sans-abrisme. Les villes de Strasbourg, Rennes, Bordeaux, Paris, Grenoble et Lyon sont les premières à déposer des recours pour que l’État assume enfin ses obligations en matière de prise en charge des personnes contraintes de dormir à la rue.
Moins avenante que notre braderie de la foire Saint-Michel, celle-ci aura pour but d’attirer l’attention de nos concitoyennes et concitoyens sur la fragilité du secteur social et médico-social dans notre pays. Je souhaitais profiter de ces occasions pour relayer quelques constats qui questionnent l’état de la solidarité.
Moins d’hébergement d’urgence
Aujourd’hui, dans le Finistère, le 115 qui va se mobiliser pour cette journée refuse presque 70% des demandes nouvelles d’hébergement d’urgence qui lui parviennent, faute de budget à la hauteur des besoins et faute de places. Je vous prie de croire et j’en témoigne que les publics concernés ne sont pas exclusivement des personnes en situation irrégulière, comme on aimerait nous le faire penser. En période de tensions fortes sur le logement et en absence de soutien financier adéquat à la construction du logement social, cette réalité a de quoi nous inquiéter et laisse à la rue aujourd’hui y compris des enfants.
La braderie du social, ce n’est pas que cela.
Tous les acteurs du social tirent la sonnette d’alarme
De nombreux acteurs associatifs font preuve d’une vraie innovation sociale sur notre territoire et répondent à des besoins sociaux importants. Dans tous les aspects de la « société du care ». Force est de constater que tous ces acteurs tirent la sonnette d’alarme et partagent des constats similaires.
Le champ du handicap, de l’autonomie des personnes âgées, le champ du social et du médico-social… Des EHPAD bretons en résistance aux acteurs de l’insertion professionnelle, en passant par les associations de l’aide alimentaire.
Car le taux de pauvreté lui croît régulièrement depuis le début des années 2000.
Une loi « plein-emploi » en contradiction avec les besoins
Nous avons tous des exemples en tête d’associations du CARE actuellement en souffrance. Y compris des associations d’insertion professionnelle dont certaines ont pris la décision de fermer des ateliers d’insertion professionnelle récemment faute de soutien.
Aujourd’hui est présenté au vote à l’Assemblée Nationale le projet de loi « plein-emploi ». Ce projet prévoit plus de conditionnalité, et notamment quinze heures d’activité obligatoires hebdomadaires ou des nouvelles sanctions aux bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). On peut débattre de la philosophie de cette décision, du regard suspicieux, de la pauvrophobie dont elle témoigne. « Ces gens veulent-ils vraiment s’en sortir au fond ? ». La défenseure des droits Claire Hédon témoigne de ses inquiétudes dans un article ce matin dans Libération et qualifie cette réforme de retour au 19ème siècle, à la logique de charité et de travail contraint de l’époque.
Mais, très concrètement, n’est-ce pas contradictoire de demander des contreparties d’activité aux bénéficiaires du RSA, sans soutenir les supports d’insertion professionnelle que les associations ont justement développé au fil de tant d’années pour les accompagner ? Les villes ou métropoles comme les nôtres ne pourront pas, ne peuvent pas pallier les désengagements des autres partenaires de l’action sociale en la matière.
Des personnes de plus en plus fragilisées
Il est important de rappeler que ce n’est pas parce que le taux de chômage est bas que tout le monde est capable de traverser la rue pour prendre en emploi. C’est méconnaître complètement les mécanismes de l’exclusion et l’impact de la pauvreté. L’exclusion sociale durable, les problèmes de santé, l’isolement social amènent des situations où l’emploi est une marche bien trop haute sans travail préalable sur l’estime de soi, sur le bien-être mental et la santé du corps, sur la remobilisation, sur la confiance dans les autres et dans la société, sur la ré affiliation sociale.
J’ai toujours pensé que le travail est et doit rester une valeur forte à valoriser. Le travail est une voie essentielle, ce n’est pas la seule, par laquelle un individu peut développer un sentiment d’utilité sociale, parfois même d’appartenance et d’épanouissement. Ceux qui sont exclus du travail le disent mieux que les autres.
Je veux dire que les personnes aujourd’hui qui n’ont pas d’emploi, alors que beaucoup de métiers sont en tension, sont sans doute plus fragiles encore que celles qui avaient besoin de l’insertion professionnelle hier quand le chômage était massif.
Pas de logement, pas d’emploi
L’accès au logement est un parcours du combattant pour les personnes en grande pauvreté. Avec le RSA aujourd’hui et des APL qui n’ont pas été valorisés à hauteur de l’inflation, trouver un logement et donc un emploi dans les conditions devient un parcours du combattant, aussi bien dans le parc social avec les délais d’attente constatés, a fortiori dans le parc privé. Les sans-abris qui sont aujourd’hui en activité professionnelle sur le dispositif « Premières Heures » à Brest que nous avons soutenu ont pu rejoindre cette action expérimentale car un hébergement d’urgence leur a été trouvé. Il est vain de penser que sans logement une personne est capable de se mobiliser pour l’emploi, même sous la menace.
Le 17 octobre prochain, le collectif de refus de la misère à Brest nous appelle à nous rassembler place de la fraternité à Brest. Ils ont choisi le thème de la du travail décent. J’espère que nous serons nombreux à ce rendez-vous.
La braderie de l’aide alimentaire
Les restaurants du cœur ont attiré notre attention à la rentrée sur la faiblesse de ce maillon essentiel de la solidarité. La ville de Brest a toujours mené des politiques très volontaristes pour fortifier et diversifier les canaux de solidarité alimentaire. Au travers du PAT, du CCAS, grâce aux associations, mais aussi via la politique de qualité et de gratuité pour les familles pauvres du service de la cantine. Néanmoins, nous sentons bien que la solidarité alimentaire est à la croisée des chemins avec une baisse des approvisionnements qui semble être une tendance de long terme à laquelle nous avons à trouver des solutions. A l’instar de ce que la ville a expérimenté en demandant à des acteurs de l’insertion professionnelle de produire des légumes frais pour l’aide alimentaire. Certes réussie, cette expérience est à petite échelle et ne résout pas les tensions constatées qui sont à l’échelle nationale.
La braderie du social, c’est toutes ces questions en suspens.
Le monde d’après que nous voulions construire après le covid, celui où la solidarité est nécessaire, c’est maintenant et cela demande une action harmonieuse et concertée de tous les partenaires de l’action sociale pour la fortifier. Et une action gouvernementale qui reconnaît le rôle essentiel de ces secteurs certes peu rentables, peu lucratifs mais pourtant essentiels au développement et au bonheur humains.
Jeudi, les écologistes soutiendront donc ce message : « Halte à la braderie du social ». »